Les 7 Soleils

"Et puis, pensez donc : Saint-Nazaire, le port, les quais, l’océan, le vent du large, les embruns qui vous fouettent le visage..."
Archibald Haddock - Les 7 Boules de Cristal

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Un hommage unique

Comment Tintin est revenu à Saint-Nazaire

Dans un temps qui n’existait pas et dans une ville qui n’existait plus.

vendredi 16 juillet 2021, par Jean-Claude Chemin

Il y a dix ans, le 2 juillet 2011, en présence de Fanny et Nick Rodwell, était inaugurée la table d’orientation Tintin et la mer. Invitation à accompagner le reporter vers les autres ports visités au cours de ses aventures, elle prolonge le parcours nazairien de Tintin, du capitaine Haddock et de Milou décrit par Hergé dans Les 7 Boules de Cristal.
Retour sur l’histoire de cet hommage, unique au monde, au créateur de Tintin.

2 juillet 2011 : inauguration de la table d’orientation Tintin et la mer

La Lincoln Zephyr jaune fait son entrée à Saint-Nazaire le 31 octobre 1946 dans le numéro 6 de l’hebdomadaire Tintin. Au volant, le capitaine Haddock ; à son bord, Tintin et Milou. Dans un temps qui n’existe pas, le jeune reporter et ses amis arrivent dans une ville qui n’existe plus.

Le temps qui n’existe pas : en poursuivant les aventures de Tintin dans le quotidien belge Le Soir contrôlé par l’occupant, Hergé a pris le parti de tenir son héros à l’écart de la terrible réalité de l’époque. De toutes les aventures de Tintin, Les 7 Boules de Cristal est celle qui ira le plus loin dans le registre du fantastique.

La ville qui n’existe plus : la Saint-Nazaire qu’Hergé met en scène est la ville originelle, la Saint-Nazaire transatlantique. Cette Saint-Nazaire-là n’existe plus. Les bombardements alliés l’ont laissé à l’état de ruine tandis que la base sous-marine recouvre désormais le bassin où venaient s’amarrer les paquebots de la "Transat", la Compagnie générale transatlantique (CGT).

Saint-Nazaire, tête de ligne transatlantique

Tintin et ses amis sont lancés sur les traces des ravisseurs du professeur Tournesol, des indiens quechua. Leur passage par Saint-Nazaire est logique car, jusqu’à la guerre, son port a été la tête de ligne des paquebots de la CGT pour l’Amérique centrale et l’Amérique du sud.

Quand, en 1946, Saint-Nazaire apparaît dans les pages de l’hebdomadaire Tintin, que reste-il en réalité de la ville transatlantique ? La gare ferroviaire, inaugurées en 1867, élégant édifice miraculeusement épargnée, et des rues aux noms évocateurs : La Havane, Veracruz, Mexico, Santander, noms des destinations des paquebots qui partaient de Saint-Nazaire. Et les chantiers de construction navale qui ont, eux aussi, soufferts de la guerre et que l’on s’active à remettre en marche.

Prestigieux navires

Les chantiers sont l’émanation directe de l’ouverture en 1862 de la ligne transatlantique régulière au départ de Saint-Nazaire. Concessionnaires de la ligne postale régulière, les frêres Péreire sont tenus, en contrepartie des subventions d’Etat, de faire construire la moitié de leurs paquebots en France.

L’Impératrice Eugénie, premier paquebot construit à Saint-Nazaire, lancé en 1864

Aucun chantier français n’est en capacité de fabriquer de gros navires en fer propulsés par la vapeur. Les Péreire achètent leurs premiers navires en Angleterre (les Britanniques ayant en la matière dix années d’avance). Et ils demandent à l’ingénieur John Scott, patron d’un chantier à Greenock en Ecosse, de venir créer un chantier à Saint-Nazaire.

Le transfert de technologie est réussi : sous la direction des contremaîtres de Scott, les charpentiers bois débauchés des chantiers de Méan et de la Brière réussissent leur reconversion au travail du métal. Le premier navire, l’Impératrice Eugénie, sera lancé le 12 avril 1864 et mis en ligne l’année suivante sur la ligne Le Havre-New-York.

5 mai 1935 : Le Normandie quitte Saint-Nazaire

Repris par les Péreire sous le nom des Chantiers de Penhoët ils verront sortir de leurs cales la plupart des navires de la CGT, parmi lesquelles les prestigieux Normandie et France. Les chantiers continuent de construire les géants des mers.

Le creusement des bassins du port, l’ouverture de la ligne transatlantique, l’implantation des chantiers de construction navale ont ainsi transformé, en quelques décennies, le petit bourg de pilotes ancré à l’entrée de l’estuaire de la Loire en une ville au développement fulgurant. Cette ville, la Saint-Nazaire transatlantique, aura à peine vécu cent ans. La guerre l’a anéantie.
En 1946, Hergé la ressuscite ! Cela méritait bien un hommage...

Mythe fondateur

Au début des années 1980, Saint-Nazaire n’a pas le moral. Les Chantiers, pivot de son économie, s’interrogent sur leur avenir. Le thème du colloque organisé à l’automne 1984 par le comité local de bassin d’emploi est éloquent : "L’arrondissement de Saint-Nazaire, échouage ou décollage ?"

Une ville qui n’a pas le moral

La municipalité Saint-Nazaire a lancé à l’époque le projet de création d’un écomusée dont le comité de préfiguration est présidé par son maire Joël Batteux. Tintin peut-il contribuer lui aussi à restituer à la vile et à son port leur mythe fondateur ?

Saint-Nazaire se ressaisit et unit ses forces, notamment au sein du CIL (Centre d’Initiatives locales) né dans le foulée du colloque. Elle est en pleine mutation urbaine, engagée en particulier dans la réalisation d’un hyper-centre.

Associer Saint-Nazaire et Tintin, ce serait aussi revendiquer pour elle et ses habitants les qualités reconnues au reporter globe-trotter :"la jeunesse, l’audace, la générosité". Car la ville souffre d’une mauvaise image. Connu bien au-delà des frontières -et même sur la lune- Tintin ser ferait ainsi le meilleur des ambassadeurs de Saint-Nazaire...

Forts de cette réflexion, et ne doutant pas de la puissance mobilisatrice de l’imaginaire, une dizaine d’amis créent, à la fin de 1986, l’association Les 7 Soleils. Son objet : perpétuer le souvenir du passage de Tintin, du capitaine Haddock et de Milou à Saint-Nazaire.

Atelier

L’association est un atelier dont les membres, qui partagent la même passion pour l’oeuvre d’Hergé, apportent des compétences complémentaires à la bonne conduite du projet. Ils et elles sont juristes, architectes, gestionnaire, communicants, journalistes...

Concrètement ils proposent de jalonner le parcours de Tintin et de ses compagnons en ville et sur le port en installant les agrandissements de six vignettes tirées de l’épisode nazairien des 7 Boules de Cristal.

Leurs lieux d’implantation sont choisis en prenant en compte la réalité historique -l’entrée à Saint-Nazaire se faisait par la rue de Trignac, les dessins montrant la gare maritime auront leur place à la base sous-marine qui a recouvert le bassin où venait s’amarrer les paquebots-, ou parce qu’il y a similitude d’ambiance entre le contenu de la vignette et le paysage portuaire environnant.

Il est aussi prévu l’installation d’une reproduction à Bruxelles, berceau de Tintin, et une à Callao où Tintin, Haddock et Milou retrouvent au début du Temple du Soleil les Dupondt qui ont été envoyés par la police de... Saint-Nazaire !

Le dossier envoyé à Mme Fanny Remi, présidente de la Fondation Hergé

Un dossier décrivant le projet est envoyé à Mme Fanny Remi, légataire universelle d’Hergé (Georges Remi est décédé le 3 mars 1983). Rendez-vous est pris pour le 10 mars 1987 dans les studios Hergé, avenue Louise à Bruxelles. Alain Baran, secrétaire d’Hergé jusqu’à la mort de celui-ci, participe à la rencontre.

L’accueil est des plus chaleureux. Fanny Remi estime que ce projet s’inscrit tout à fait dans les actions que la Fondation Hergé, en cours de création, se propose de soutenir. La rencontre s’achève sur cette phrase de Fanny Remi qui ne manque pas d’émouvoir la petite délégation nazairienne : "C’est une idée qui aurait plu à mon mari".

Couleurs chatoyantes

Il faut maintenant d’finir la technique qui sera mise en oeuvre pour fabriquer ces panneaux dont les dimensions iront de 3,70m x 4 m à 9m x 16 m, et évaluer le coût de cette réalisation. Stéphane Tardif, architecte et tintinophile, est chargé d’établir le dossier technique. La ville de Saint-Nazaire et le port autonome donnent leur accord de principe pour l’occupation de leur domaine respectif.

Un fragment de case rendu selon différentes techniques

La technique est bientôt arrétée : les vignettes d’Hergé seront agrandies sur métal émaillé. "L’aspect net et brillant de l’émail est très spectaculaire et rend les couleurs chatoyantes" souligne Fanny Remi.

Reste à trouver le financement du projet évalué à 2 MF. Un émir, émule du cheik Patrash Pacha, grand lecteur des aventures de Tintin (cf. Les Cigares du Pharaon), aurait pu signer le gros chèque. Il n’y eut pas d’émir. Mais, dès lors que le projet est portée par les forces vives de la région nazairienne, la revendication des qualités tintinesques qui lui sont associées n’en sera que plus convaincante. Quand le capitaine Haddock et les capitaines d’industrie font cause commune !

Les forces vives seront au rendez-vous. Mais il faudra un peu de patience.
Signe avant-coureur de l’inscription du projet dans le paysage nazairien, en 1988, la SONADEV, société d’économie mixte, donne le nom de Sirius à la vedette qui va sillonner l’estuaire. C’est celui du chalutier commandé par le capitaine Haddock dans Le Trésor de Rackham le Rouge...

Anniversaire

L’association Les 7 Soleils avait pris le parti de ne rendre public le projet que lorsqu’il aurait connu un début de réalité. La réalité se faisant désirer, elle décide de changer de stratégie."Parlons du projet et peut-être hôterons-nous la chance" écrit le président de l’association à Mme Fanny Rodwell (la présidente de la Fondation Hergé a, entre temps, épousé M. Nick Rodwell).

14 avril 1862 : La Louisiane ouvre la ligne transatlantique régulière

C’est ainsi que l’association Les 7 Soleils s’empare de la date du 14 avril 1992 pour rendre le projet public. Elle prend l’initiative de célébrer le 130e anniversaire du départ de La Louisiane. Le 30 avril 1862, le paquebot à hélices La Louisiane ouvrait la première ligne postale régulière entre la France et le Nouveau Monde avec, explique la carton d’invitation, pour conséquences "l’implantation des chantiers de construction navale et ... la venue de Tintin, Haddock et Milou à Saint-Nazaire".

Environ 300 personnes représentant les milieux politiques, économiques et culturels assistent à la présentation du projet et partagent le gâteau d’anniversaire à bord du catamaran de croisière Azénor en attente de livraison quai de Méan.

L’exposition Le monde de Tintin fait connaître le projet au grand public

L’association élargit cette sensibilisation en accueillant l’exposition Le Monde de Tintin. Créée par Philippe Goddin, secrétaire général de la Fondation Hergé, et augmentée d’objets et d’éléments de décors grâce au concours de la Fondation et d’entreprises nazairiennes, elle reçoit en un mois 22 000 visiteurs.

Le projet Tintin à Saint-Nazaire y est présenté. Dans l’exposition, une place est réservée à la maquette du voilier Pachacamac. Il s’agit d’un prototype 6,50 m, dessiné par Bernard Sourisse, architecte naval baulois, et qui est fabriqué en matériaux composites par la première promotion science et génie de matériaux de l’IUT (Institut Universitaire de Technologie) de Nantes. Ce partenariat entre Les 7 Soleils et un établissement de formation sera suivi d’autres.

Pachacamac et Tournesol

Fanny Rodwell a donné son accord pour que le voilier, qui prendra en septembre 1993 à Brest le départ de la mini-transat, porte le nom du cargo dans lequel fut séquestré le professeur Tournesol. Il arbore sur sa coque bleu l’effigie de Tintin et Milou.

Baptisé à Pornichet, le Pachacamac devant Club Explorer, le catamaran de son parrain Bruno Peyron (photo D.R.)

Le Pachacamac est équipé par Les 7 Soleils et affiche sur son spi le logo de l’association. Le navigateur Bruno Peyron accepte d’en être le parrain, sa marraine est une fillette hospitalisée au service pédiatrie de Saint-Nazaire ; les jeunes malades suivront la course.

Fortune de mer ! Une terrible tempête éclate pendant la première étape qui doit relier Brest à Madère. Dix bateaux sont cassés, dont le Pachacamac qui avait pris un bon départ. Un skipper perd la vie, Pascal Leys, le vainqueur de l’édition précédente. L’étape est annulée.

Cependant, l’aventure peut se poursuivre avec un autre voilier prototype dessiné lui aussi par Bernard Sourisse et skippé par son frêre. Le bateau a été construit par les élèves de la section bois du lycée professionnel Bouloche de Saint-Nazaire. Sa coque est jaune et il a pour nom ...Tournesol !

Yves Horeau, inestimable renfort

Entre temps, l’équipe des 7 Soleils s’est étoffée. Parmi ces renforts, le nantais Yves Horeau, éminent tintinologue sans qui la suite de cette aventure n’aurait certainement pas eu la même riche et savoureuse substance.

Par ailleurs membre de l’Académie de Bretagne et des Pays de la Loire, Yves Horeau est un précurseur en matière de tintinologie. Il avait donné sa première conférence en 1958 devant le Cercle littéraire de Paimboeuf. Yves Horeau rejoint Les 7 Soleils avec, dans ses bagages, un épais tapuscrit sur Tintin et la navigation. On saura en faire bon usage...

Le lieu de ses exploits

Cette sensibilisation a produit son effet. La Ville de Saint-Nazaire, les chantiers de l’Atlantique et GTM (Grands Travaux de Marseille) apportent les moyens de mettre en place le premier jalon, à l’entrée nord de la ville. "Nous allons pouvoir montrer que c’est beau et que ça fait parler de Saint-Nazaire" souligne alors le président des 7 Soleils. Ce premier jalon est inauguré le 14 janvier 1995.

Inauguration du premier visuel en présence de l’Harmonie de Moulinsart ©Hergé/Moulinsart

Philippe Goddin représente la Fondation Hergé à l’inauguration ; il a été l’interlocuteur des 7 Soleils tout au long de la réalisation de cette première étape et c’est lui qui a défini le design des panneaux.

Il porte un message de Fanny Rodwell : "Tintin retourne sur le lieu de ses exploits et une ville retrouve les images de son passé, j’ai aimé cette idée... le jour arrive qui marquera la première étape de la réalisation de ce beau projet". Un absent : Stéphane Tardif ; l’architecte de l’association, et ami, est décédé début 1994, au terme d’un long coma.

Oui, le résultat est beau et fait parler de Saint-Nazaire. L’inauguration, aux accents de l’Harmonie de Moulinsart, est largement relatée dans les médias.
La mise en place des deuxième et troisième jalons se fait sans difficultè, dans le sillage du premier.

Entre temps, en mars 1995, Tintin à Saint-Nazaire est élu projet de l’année à l’occasion de la deuxième édition de Nantes 1995, L’Homme de l’Année, organisée par le magazine Le Nouvel Economiste.

Jean-Pierre Talbot, Tintin à l’écran, présent à l’inauguration des deuxième et troisième jalons
© Hergé/Moulinsart

La ville a inscrit cette réalisation dans le cadre de son projet ville-port ; les fonds européens FEDER, le port autonome et les CCI de Nantes et de Saint-Nazaire se joignent aux précédents contributeurs. L’inauguration a lieu le 25 mai 1996 en présence de Jean-Pierre Talbot, l’interprète au début des années soixante de Tintin à l’écran.

Il reste alors trois jalons à poser à Saint-Nazaire, sans compter ceux envisagés au Pérou et en Belgique. Pour ce qui concerne le Pérou, les contacts étaient très avancés. La municipalité de Lima mettait un square à disposition pour accueillir le panneau. La date de son inauguration était arrétée : le 3 novembre 1993 ; ce jour-là à10 h 41 une éclipse totale du soleil obscurcirait cette partie de l’Amérique du sud. On allait revivre l’épilogue du Temple du Soleil !

Hélas, le financeur pressenti s’est défaussé au dernier moment. L’association Les 7 Soleils ne sera pas au rendez-vous du soleil avec la lune...

Mobiliser

Va-t-on s’arrêter à mi-parcours ? Il reste encore trois jalons à poser à Saint-Nazaire, sur la base sous-marine et quai du Commerce. Il faut remettre l’ouvrage sur le métier, autrement dit mobiliser à nouveau l’opinion et les décideurs.

L’idée de créer une exposition sur le thème de Tintin, Haddock et les bateaux est proposée par le président des 7 Soleils à Nick Rodwell, administrateur général de Moulinsart, la société qui gère les droits de l’oeuvre d’Hergé. Nick Rodwell l’accepte et la soutiendra. La SIREN, la société d’économie mixte en charge les équipements touristiques de Saint-Nazaire, aura le rôle de producteur.

Créée à Saint-Nazaire l’exposition Tooot ! est inaugurée par Fanny et Nick Rodwell
(Presse-Océan 23-05-1999)

Pour préparer cette exposition, l’association Les 7 Soleils met en place plusieurs ateliers réunissant des spécialistes de la construction navale, des navigants, parmi lesquels le commandant Jean Randier, membre de l’Académie de Marine, présent dans le port de Saint-Nazaire sur un bateau en attente d’affrêtement, des graphistes, des tintinologues et tintinophiles aux divers talents.

Le livre-album de l’expo traduit en cinq langues ; ici en suédois

Le scénario de l’exposition se nourrira d’un article de Philippe Goddin sur Tintin et la mer et du copieux tapuscrit d’Yves Horeau. Le travail d’Yves Horeau va aussi donner la matière du catalogue de l’exposition. Devenu un livre-album sous le titre Tintin, Haddock et les bateaux,et édité par Moulinsart il est un véritable best-seller. Traduit en cinq langues il s’est vendu à ce jour à plus de 130 000 exemplaires.

A compétences comparables, l’association a toujours fait le choix de privilégier les talents régionaux. Ainsi la scènographie de l’exposition est confiée à une étudiante en architecture, Anne Lebas, en stage à l’agence nantaise Double-Mixte. Elle en fera le sujet de sa soutenance de diplôme. Double-Mixte assure par ailleurs toute la partie graphique de l’exposition tandis que la société nazairienne d’évènementiel Cap image fabriquera les décors.

Dans cette exposition qui a pour thème Tintin, Haddock et les bateaux il n’est pas pensable de ne pas trouver l’un des objets les plus mythiques des aventures maritimes de Tintin : le mini-sous-marin du professeur Tournesol. Or, entre la construction navale et l’aéronautique, le bassin nazairien a les compétences pour faire passer cette célèbre invention de la dimension de l’imaginaire à celle de la réalité.
Pourquoi ne pas en confier la réalisation à des gens en formation dans ces compétences ?

Le mini-sous-marin

Les 7 Soleils passe ainsi une singulière commande à la section de préparation au BTS (Brevet de Technicien supérieur) Construction navale du lycée nazairien Aristide Briand, seule formation de ce type en France ; il s’agit cette fois de construire un engin submersible dont le concepteur est un illustre savant et inventeur répondant au nom de Tournesol et dont le design est dû au crayon d’Hergé.

Mai 1999 : le mini-sous-marin quitte l’ICI pour l’exposition

Les enseignants acceptent d’inscrire cette proposition au nombre des réalisations concrètes auxquelles sont très sérieusement tenus les étudiants de seconde année en vue de l’obtention de leur diplôme.

Avec leurs professeurs et le concours de l’ICI (Institut de Créativité Industrielle) ils étudient la mise en oeuvre du sous-marin comme si celui-ci devait effectivement naviguer. Puis ils entreprennent sa construction avec, pour les parties tôlerie et soudure, le concours des stagiaires de l’AFPA (Association de formation professionnelle des adultes). Bien qu’habitués à des unités d’un tout autre calibre, les peintres des Chantiers de l’Atlantique habilleront sa coque.

Inaugurée le 22 mai 1999 par Fanny et Nick Rodwell, l’exposition Tooot ! Tintin, Haddock et les bateaux, pr’sent’e jusqu’au 7 novembre, sera vue par plus de 70 000 personnes. Parmi ces visiteurs, un des conservateurs du Mus’e national de la Marine (MNM) de Paris qui la reprendra en 2001 à Chaillot où, avec 300 000 visiteurs, elle établira le record historique des visites pour une exposition temporaire au MNM. 

Etape au musée de la marine de Greenwich pour le mini-sous-marin

L’exposition sera reprise sous différentes formes par les musées maritimes de Barcelone, Greenwich et Stockholm avec à chaque fois, la présence du mini-sous-marin construit à Saint-Nazaire, et en 2007 à Ostende, pour le centenaire de la naissance d’Hergé.

Le mini-sous-marin est désormais visible au musée Hergé, à Louvain-la-Neuve, en Belgique.

En 2002 Moulinsart a commandé à la section construction navale du lycée Aristide-Briand un autre mini-sous-marin, étudié et construit dans les mêmes conditions que le précédent, pour l’éexposition permanente sur Les secrets de Moulinsart présentée au château de Cheverny.

Derniers jalons

Le retentissement de l’exposition Tintin, Haddock et les bateaux à l’extérieur de Saint-Nazaire favorise la mise sur les rails de la deuxième phase du projet. En juin 2003, deux reproductions géantes sont installées sur et dans la base sous-marine. Montrant un paquebot sur le départ et installées à l’endroit préécis où l’on embarquait pour l’Amérique centrale et l’Amérique du sud, elles livrent les clefs de la venue de Tintin à Saint-Nazaire.

Les clefs de la venue de Tintin à Saint-Nazaire

© Hergé/Moulinsart

Le dernier jalon du parcours est posé en juin 2004. Le dessin d’Hergé représente le chargement d’un cargo et l’élévation du capitaine Haddock qui s’est imprudemment assis sur un ballot. Les deux principales entreprises qui font l’essentiel de l’activité des bassins nazairiens, Idéa et Cargill, participent au financement, aux côtés de la Caisse d’Epargne, de la Ville de Saint-Nazaire, de la communauté d’agglomération et de la Région des Pays de la Loire.

Chaleureux message de Fanny et Nick Rodwell

Les inaugurations de ces agrandissements mobilisent les écoles de danse et de musique, l’harmonie de Saint-Nazaire, le club de voitures anciennes, les compagnies de théâtre amateur, les grues du port autonome et le baliseur Charles Babin accosté quai du Commerce. Le spectacle est réglé par Bernard Chanteux, le metteur en scène du procès Alcazar...

Le parcours est enfin bouclé. Quid des étapes étrangères : Bruxelles et Callao ? A Bruxelles la présence de Tintin, du capitaine Haddock et de Milou est désormais illustrée sur une façade, à deux pas du Manneken Pis. Quand au Pérou, le passage de Tintin sera-t-il commémoré avant la prochaine éclipse totale du soleil, attendue dans pas mal de décennies ?

Juin 2004. Retour de Tintin à Saint-Nazaire en chair et en os : Jean-Pierre Talbot (à gauche) son interprète à l’écran

Mettre ses pas dans les pas de Tintin à Saint-Nazaire, certes. Mais n’encourre-t-on pas le reproche de donner l’impression d’enfermer le vibrionnant reporter dans l’épisode nazairien ? Après tout, la devise de Saint-Nazaire n’est-elle pas Aperit et Nemo Claudit (Elle ouvre et personne ne ferme) ? Aussi l’association Les 7 Soleils va inviter à prolonger le parcours de Tintin bien au-delà des rives de l’estuaire, dans le sillage de ses autres aventures maritimes.

C’est le propos de la table d’orientation Tintin et la mer qui réunira tous les ports réels visités par le reporter et deux lieux imaginaires -car toute l’histoire du projet des 7 Soleils se nourrit de l’équivoque entretenue à dessein entre le réel et l’imaginaire- : le lieu de la chute de l’aérolithe dans L’Etoile mystérieuse et celui du naufrage de la Licorne dans Le Trésor de Rackham le Rouge.

Le France et le Karaboudjan

La forme de la table est imaginée par le nazairien Jérôme Besseau, desingneur et créateur de bijoux. Jérôme Besseau lui donne celle d’une carène recourbée qui aurait la proue du France et la poupe du Karaboudjan, le cargo de la rencontre entre Tintin et le capitaine Haddock. Le projet reçoit l’aval de Fanny et Nick Rodwell.

La table d’orientation Tintin et la mer : invitation à poursuivre les aventures maritimes

La maquette est présentée aux enseignants de la section construction navale du lycée Aristide Briand. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un objet flottant -ni submersible-,la table va exiger par sa forme un travail particulièrement pointu d’études et de réalisation.

A la rentrée 2011, une équipe d’étudiants se porte volontaire. Pour sa fabrication, là où le numérique n’est pas encore capable de remplacer la main de l’homme, ils reçoivent le renfort de deux formateurs de l’AFPA, Jean-Louis Rabille et Gilbert Primot, meilleurs ouvriers de France, l’un en chaudronnerie l’autre en soudure, avec lesquels Jérôme Besseau a déjà travaillé.

Equipée avec le concours d’entreprises partenaires de Chantiers, la table d’orientation est installée là où se dressait le Saint-Nazaire primitif à l’extrémité terrestre du vieux môle, le plus vieil édifice portuaire de Saint-Nazaire. L’ensemble de logements sociaux construit à proximité a reçu le nom de... Callao.

Retrouvailles

La table d’orientation a été inaugurée le 2 juillet 2011 en présence de Fanny et Nick Rodwell. Jérôme Besseau, gravement malade, décédera au cours de l’automne.

Fanny Rodwell et Jérôme Besseau lors de l’inauguration de la table d’orientation Tintin et la mer

Avec la table d’orientation Tintin et la mer le parcours s’achève donc sur une invitation à poursuivre le voyage, dans le rêve ou la réalité, vers Anvers, Akureyri, New-York, Djibouti, Shanghai, la mer des Antilles...

Le passage de Tintin, Haddock et Milou est devenu indissociable de l’évocation de Saint-Nazaire. Le parcours de nos héros participe à l’offre touristique. Edité par Les 7 Soleils le dépliant Dans les pas de Tintin explique la rencontre entre le passage du célèbre reporter et l’histoire de la ville et de son port. Il a été traduit en anglais, en espagnol, et en allemand (traduction due à des lycéennes de Sarrelouis, la ville jumelle de Saint-Nazaire). Il sera bientôt disponible en esperanto...

Un dernier témoin du passage de Tintin et de ses compagnons a été inscrit en 2017 dans le paysage nazairien. C’était le souhait de Marie-Christine Lenay, présidente de Marine Accueil Loire, l’association qui gère le seafarers’ center, le foyer d’accueil des marins en escale, de voir celui-ci associé à l’image du capitaine Haddock. Nick Rodwell a adhéré à la proposition : le foyer est désormais signalé par un visuel tiré de L’Etoile mystérieuse illustrant, à-propos, les retrouvailles entre le capitaine Haddock et son ami Chester.

Fidji !... Fidji !... Fidji !... Bouldou, bouldou, bouldou ! Aya, aya, ayayaaa !... ! © Hergé/Moulinsart

Ensemble

Le projet Tintin à Saint-Nazaire n’aurait pas vu le jour sans, d’abord, l’accord et le soutien de Fanny et Nick Rodwell. Il a pu devenir réalité grâce à la convergence des talents des membres fondateurs de l’association Les 7 Soleils, du suivi et des conseils, dans sa première phase, de Philippe Goddin, alors secrétaire général de la Fondation Hergé, de Sophie Tchang pour la mise en place des expositions, et des collectivités, entités économiques, entreprises, établissements d’enseignement et de formation, associations qui, toutes et tous, ont cru au retentissement promis de ce projet en faveur de la connaissance de l’histoire de Saint-Nazaire et de sa renommée. Et, bien sûr, avec le concours efficace et de grande qualité des équipes des Studios Hergé et de Moulinsart.


L’essentiel de cet article a été publié dans la revue Place publique, numéro 56 (mars-avril 2016), dont le thème était : Quand la bande dessinée s’empare de la ville.
(http://www.revue-placepublique.fr/Sommaires/Sommaires/Sommaire56.html).