Les 7 Soleils

"Et puis, pensez donc : Saint-Nazaire, le port, les quais, l’océan, le vent du large, les embruns qui vous fouettent le visage..."
Archibald Haddock - Les 7 Boules de Cristal

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Table-ronde à Déam’bulle

Haddock marin d’eau douce ?

Le capitaine a des circonstances atténuantes

dimanche 16 avril 2017, par Jean-Claude Chemin

Deux familiers du monde maritime confrontent leurs arguments.

El le médecin des grandes courses à la voile confirme le diagnostic du Dr Laumière.

photo D.R.

Proposée à Quai des Arts à l’invitation de Déam’bulle, le premier festival de bande dessinée de Pornichet, la table-ronde sur le thême Haddock, marin d’eau douce ? a été suivie par un public attentif.

Tout est parti d’un des articles écrits par Yves Horeau dans le hors-série Ouest-France A la découverte des grands ports du monde avec Tintin, paru début octobre 2016.
L’auteur du best-seller Tintin, Haddock et les bateaux, se demandait, exemples à l’appui, si le capitaine Haddock ne mérite pas la qualificatif, qu’il est si prompt à distribuer, de ’marin d’eau douce’.

Lors d’une réunion de l’association -c’était précisément fin octobre alors que nous fêtions les 70 ans de l’entrée de Tintin et de ses compagnons à Saint-Nazaire- Guy Sallenave, autre membre éminent, faisait part au président d’honneur des 7 Soleils des nuances que, selon lui, appelait son article.

A la passerelle

Il fallait en avoir le coeur net. C’est ainsi qu’est née l’idée de la table-ronde, accueillie par le festival de Pornichet.
A nos deux tintinologues amarinés, les organisateurs du festival ont proposé de joindre un avis faisant autorité sur le plan médical car la santé du capitaine, certes quelques fois malmenée, nous est chère. C’est ainsi que Jean-Yves Chauve, médecin du Vendée Globe et des grandes courses à la voile, a accepté d’apporter l’avis de la Faculté.

On a donc discuté de la tenue vestimentaire du capitaine, du nombre de galons de ses uniformes, de la façon dont est amarrée l’Aurore, de son comportement en mer. Sauf circonstances particulières, un commandant, qui n’est pas timonier, ne gouverne pas à la passerelle, souligne Yves Horeau. Un célèbre navigateur l’a fait, rétorque Guy Sallenave : le commandant Cousteau.

Titanic

En principe seul maître à bord, Haddock devait-il en référer aux savants de l’expédition en route vers l’Etoile mystérieuse ? Et devait-il dévier sa route pour se porter au secours du prétendu Vilnaranda alors qu’il se trouvait à 45 heures du lieu indiqué du naufrage ?
Mais n’avait-il pas en tête la désolante méprise commise par un autre marin, le 14 avril 1912, qui, à cause d’une transmission tronquée, crut que le Titanic avait été pris en remorque. Le commandant du navire qui se trouvait dans les parage de la tragédie se nommait... Haddock. Un parent peut-être ?

Quid de la conduite du capitaine sur la passerelle du Ramona, dans Coke en Stock. Son affolement, sa fébrilité qui lui fait briser le manche du transmetteur d’ordre, sa colère ensuite sont-ils digne d’un marin d’eau de mer ? s’interroge Yves Horeau. Il se reprend vite et exécute avec brio la manoeuvre qui lui permet d’éviter la torpille, réplique Guy Sallenave.

Baclofène

Après que nos deux experts es-navigation aient passé au tamis la conduite du capitaine Haddock, il restait à s’inquièter de sa santé.
Médecin du Vendée Globe et des grandes courses à la voile, venu en voisin -il habite Pornichet- Jean-Yves Chauve s’est penché sur le cas de ce singulier patient. D’abord pour confirmer le diagnostic du docteur Laumière (cf. Le Trésor de Rackham le Rouge, p. 11) : ’insuffisance fonctionnelle du foi’ et ses redoutables prescriptions.

Affinant le tableau clinique, il s’arrête sur la manifestation du delirium lors de la traversée du pays de la soif (Le Crabe aux Pinces d’Or) avant de reconnaÎtre dans le professeur Tournesol un précurseur au regard de la découverte des vertus du Baclofène (Les Picaros).

Titus

Enfin, le Dr Chauve a évoqué le fameux mal de mer dont ont souffert les savants de l’expédition polaire, en mettant en garde contre la facilité qui consisterait à l’imputer au fait qu’ils accompagnaient leur choucroute de vin rouge... Tintin et Haddock en réchappent et il est inimaginable, du moins pour Haddock, de supputer qu’il n’aurait pas touché au vin...

Alors Haddock, marin d’eau douce ? A y bien regarder, ses écarts avec l’étiquette navale sont à mettre au compte de son créateur, Hergé. Mais celui-ci a des circonstances atténuantes.
Bien que très exigeant sur le plan documentaire -c’est l’une des forces de son oeuvre- Hergé a eu une très faible expérience maritime : un voyage de quatre jours, d’Anvers à Göteborg, à bord du cargo Reine Astrid en compagnie de Bob de Moor pour effectuer des repérages en vue de dessiner les intérieurs du Ramona pour Coke et Stock, et, pour ce qui est de l’eau douce, des sorties sur le lac Léman à bord du Titus, l’esquif de son ami Charlie Fornara.
Mais il lui sera beaucoup pardonné !