Les 7 Soleils

"Et puis, pensez donc : Saint-Nazaire, le port, les quais, l’océan, le vent du large, les embruns qui vous fouettent le visage..."
Archibald Haddock - Les 7 Boules de Cristal

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Seule voiture connue du capitaine Haddock

La Lincoln Zephyr, char de l’amitié

"La première voiture américaine aérodynamique au design réussi", selon le MOMA

mercredi 20 juillet 2005, par Charles-Henri de Choiseul Praslin

 Le Capitaine Haddock avait bon goût en matière de voiture.
 C’est à bord d’un cabriolet Lincoln Zéphyr qu’il embarque Tintin pour le premier des grands périples de l’amitié qui emporteront désormais les héros de Hergé.

Dans les 7 Boules de Cristal apparaît, pour la première et dernière fois, une des plus belles des voitures dessinées par Hergé : la Lincoln Zéphyr dans laquelle Haddock et Tintin quittent Moulinsart pour Saint-Nazaire.

Produite en 600 exemplaires de 1938 à 1940, le cabriolet Lincoln appartient à la série des Lincoln Zéphyr qui existaient aussi en berline, coupé et berline décapotable.

La série fut introduite sur le marché le 2 novembre 1935, sous la direction d’Edsel Ford, le fils du fondateur Henry Ford. Celui-ci avait racheté la marque de prestige Lincoln en 1922.

Les Lincoln Zéphyr furent en 1935, donc après la grande crise, "la première voiture américaine aérodynamique au design réussi", si l’en croit le Museum of Modern Art de New-York où elle est exposée. Par ses lignes fluides, si ce n’est féminines, elle rompt en effet avec les caisses imposantes, aux flancs abrupts, qui caractérisaient les automobiles des années 1920. Mais elle garde encore les ailes distinctes de la carrosserie et surtout les marchepieds propres aux voitures d’avant-guerre.

Ce ne fut pas seulement par son aspect extérieur que la série des Lincoln marqua une ère nouvelle. Après le grand krach, les marques de voitures de prestige durent s’accommoder des temps nouveaux et se "démocratiser", si l’on peut dire, pour toucher de nouveaux clients, moins fortunés.

Les nouvelles Lincoln Zéphyr étaient ainsi trois fois moins chères -1.300 $ au lieu de 4.700 $- que les précédentes limousines Lincoln de la série K, nées en 1931 et disparues en 1940 après avoir vu leurs ventes s’effondrer. La nouvelle série était en effet d’un gabarit beaucoup plus modeste et beaucoup plus légère, ce qui permettait d’utiliser de nombreux éléments mécaniques empruntés à Ford et d’abaisser ainsi considérablement le coût de revient.

Cependant, elles appartenaient encore un peu au monde d’avant la crise, car le vieux papa Henry ne laissa pas son fils Edsel donner libre cours à son goût pour le progrès technique : les Lincoln Zéphyr n’eurent ni la suspension avant à roues indépendantes, ni le moteur vraiment moderne, ni la boîte de vitesse automatique performante dont disposèrent ses concurrentes Buick, Chrysler, Oldsmobile et surtout Cadillac, sans parler des freins hydrauliques qui furent montés avec retard.

Hergé a aimé suffisamment cette voiture pour ne pas mettre en lumière son défaut majeur, la tendance de son moteur, simple extrapolation des V8 Ford, à chauffer et déformer ses douze cylindres : elle fonce toujours sans faiblir.

Il rappelle simplement une de ses petites faiblesses : la difficulté à fermer la capote quand survient une averse.

C’est que la Lincoln Zéphyr jouit dans l’œuvre d’Hergé d’un privilège unique : c’est la seule des voitures qui appartienne de façon durable, et sans connaître aucun accident, à Haddock ou Tintin, alors que ce dernier utilise toujours des voitures qui ne sont pas les siennes, parfois avec l’accord de leurs légitimes propriétaires et bien souvent en s’en passant, pour terminer par un crash spectaculaire dont il réchappe miraculeusement.

Ce privilège n’a rien de fortuit ou d’arbitraire. Dans la longue saga automobile au cours de laquelle Hergé met en scène pas moins de 79 voitures réelles, la Lincoln Zéphyr a pour tâche d’illustrer le grand tournant de son œuvre, tel que l’explique Frédéric Sumois dans son livre "Dossier Tintin" : le passage du cycle aventureux où Tintin prend, souvent au péril de sa vie, l’initiative d’un voyage pour combattre une injustice, au cycle domestique où, lorsque Tintin et Haddock abandonnent provisoirement la quiétude de Moulinsart, c’est à cause d’un dysfonctionnement du monde mettant en péril un ami qu’il faut secourir.

Tout au long de ses 22 vignettes, ce qui est de très loin le plus grand nombre d’images consacrées à une seule automobile, la Lincoln Zéphyr symbolise par sa magnificence le nouveau destin qu’Hergé offre désormais à ses héros : cultiver contre vents et marées leur amitié réciproque.