Les 7 Soleils

"Et puis, pensez donc : Saint-Nazaire, le port, les quais, l’océan, le vent du large, les embruns qui vous fouettent le visage..."
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Rencontre avec...

Dominique Lemarié, dessinatrice de presse judiciaire

Elle a suivi les procès du Watergate, de Klaus Barbie, de l’affaire Clearstream… et celui du général Alcazar !

jeudi 25 février 2010, par Jean-Claude Chemin

 Notre première invitée de l’année le 9 janvier dernier, Dominique Lemarié, a en commun avec Hergé de dessiner. Avec l’univers de Tintin, elle peut revendiquer le fait d’avoir été la seule dessinatrice d’audience à croquer le procès du général Alcazar. Procès qui, à l’instigation de notre association, s’est déroulé en novembre 2001 en cour d’assises de Loire-Atlantique.

A droite au premier plan : Dominique Lemarié pendant le procès du général Alcazar.
photo Dominique Macel

Dominique Lemarié travaille pour les chaînes publiques de télévision et la presse écrite. Elle a à son actif d’autres procès tout aussi retentissants.
Pouvait-il en être autrement quand sa carrière a démarré aux USA avec le procés du Watergate. Excusez du peu !

Parisienne mais avec un pied au Pouliguen où son grand-père avait fait construire une petite villa, Dominique a eu, pour se pencher sur son destin, une premières bonne fée : Danièle Lemarié, la sœur de son père, sa tante et marraine, décoratrice d’intérieur et qui, très tôt, l’initie au dessin. “Dès l’âge de 5 ans ! raconte-t-elle. En fait, elle et mon père, m’ont tout appris”.

Et c’est au Pouliguen, au lendemain de la guerre, alors qu’elle prend le soleil sur la plage de la Govelle, que sa tante fait la connaissance d’un soldat américain ; le sammy participe au déminage de la base sous-marine de Saint-Nazaire. Ils se marieront et, de cette union naîtra un premier garçon.
Quand en 1966 de Gaulle décide le retrait de la France de l’Otan, la famille plie bagage pour les USA, où deux autres garçons viendront agrandir la famille.

Betty Boop

Dominique Lemarié lors de la rencontre organisée par Les 7 Soleils.
photo Gérard Lebras

“A 16 ans, alors que je me prèpare au bac artistique, se souvient Dominique, je propose de partir en vacances chez ma tante afin de perfectionner mon anglais qui en avait bien besoin. Ma sœur jumelle aurait pu être du voyage mais elle a préféré se faire offrir un Solex ; c’était la première fois que nous nous séparions”.

Dominique retourne aux USA voir sa tante qui s’est remariée avec un petit cousin de Max et Richard Fleischer, les créateurs de Betty Boop.
Le nouvel époux de sa tante est cameraman à la W.M.A.R., une chaîne affiliée à CBS et diffusée sur Baltimore et Washington.
Un soir de l’été 1973, sa vie prend un tournant inattendu quand son oncle lui annonce : “Demain tu viens avec moi à la rédaction”. Il lui explique que tout s’est décidé devant la machine à café : “Le rédacteur en chef s’inquiétait de n’avoir pas de dessinateur pour suivre l’audience du lendemain. Je lui ait dit : “Ma nièce est en vacances, elle va vous dépanner”. Affaire conclue !

Betty Wells

“Quand mon oncle m’a annoncé cela, j’ai dit "NON !". Certes, je dessinais mais je ne connaissais rien au métier de dessinateur d’audience. Trop tard, c’est fait ! m’a-t-il répondu.”
“Nous sommes allés acheter un portfolio, que j’ai toujours, et quelques fournitures. Le lendemain je me présentais, en sa compagnie, devant le rédacteur en chef”.
C’est ainsi qu’elle a débuté, et pas pour suivre le premier procès venu puisqu’il s’agissait du Watergate, le jour précis où le vice-président Agnew plaidait coupable.

“J’étais complétement perdue ; je ne connaissais personne !” se souvient-elle. Mais une autre bonne fée vole à son secours : Betty Wells, la meilleure dessinatrice de Washington : “J’étais son “petit poussin” parce que j’étais Française et qu’elle gardait un souvenir émerveillé de sa lune de miel à Paris. Les seuls dessins que j’aurais pu en rapporter, me disait-elle, auraient été ceux des plafonds des magnifiques chambres d’hôtel !”.
Dominique Lemarié devait effectuer un remplacement d’un mois,. Elle y restera quinze ans !

Alcazar

De retour en France, le premier procès qu’elle suivra est, lui aussi, loin d’être anodin puisqu’il s’agit de celui de Klaus Barbie qui s’est déroulé du 11 mai au 4 juillet 1987 au palais de justice de Lyon : “On ne sort pas indemne d’un tel procès. Je n’imaginais pas que l’être humain pouvait aller aussi loin dans l’horreur et dans la haine”.

Alcazar entre deux gendarmes, croqué par Dominique Lemarié.

Depuis, elle a croqué plusieurs autres grandes affaires : Papon, l’assassinat du préfet Erignac, le gang des barbares, Outrault, l’affaire Tibéri, Clearstream... Sans oublier, mais dans un registre autrement plus léger, le procès du général Alcazar.

Organisé à l’instigation des 7 Soleils, le procès d’Alcazar s’est déroulé en novembre 2001 devant la cour d’assises de Loire-Atlantique. C’était sans doute la première fois dans l’histoire de la justice française que l’on jugeait un personnage imaginaire dans une vraie cour d’assises. Le général fut acquitté.

“Un sacré beau travail ! souligne-t-elle. Cela me faisait penser aux procès politiques que j’ai pu suivre. Mais là, pas de choses sordides. Et c’était étrange, pour ceux d’entre-nous qui sommes habituellement présents aux audiences, de se retrouver dans cette autre dimension”.

Sérieux

Comment définit-elle ce métier de dessinateur de presse judiciaire ?
“Nous sommes là où la caméra ou l’appareil photo ne sont pas autorisés à être. Ce n’est pas exactement le même métier que caricaturiste. Il y a du sérieux dans ce que nous faisons et peu de place pour des envolées artistiques. Des personnes jouent leur vie devant nous”.

Le travail de Dominique Lemarié sera présent dans l’exposition que le centre Pompidou va prochainement consacrer, pour la première fois, au dessin d’audience. Dominique ouvrira également son atelier, au Pouliguen, le deuxième week-end d’avril dans le cadre de l’opération L’Art prend l’air et elle exposera en juillet, toujours au Pouliguen.

Surtout ne pas manquer ces occasions de voir et de revoir son magnifique travail !

Les mêmes (Alcazar est incarné par Yves Horeau) en photo.
photo Dominique Macel